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Entretien avec le Directeur de la Réinsertion au Ministère de la Justice du Niger

Monsieur ZAKARY Hamadou, Directeur de la Réinsertion au Ministère de la Justice de la République du Niger, nous a fait l’honneur de nous donner une interview.

A cette occasion, il a pu évoquer avec nous les grands chantiers que doit entreprendre le gouvernement nigérien et plus particulièrement le Ministère de la Justice pour la réinsertion des anciens détenus.


Quelle est l’année de création de votre Direction et depuis quand officiez-vous au sein de celle-ci ?

La Direction de la Réinsertion est l’une trois Directions de la Direction Générale de l’Administration, de la Sécurité Pénitentiaires et de la Réinsertion (DGASP/R). Elle a été créée en 2012. J’occupe le poste depuis le 04 décembre 2013.

Comment définiriez-vous la notion de « réinsertion » ?

En milieu carcéral, la réinsertion signifie l’accompagnement moral, professionnel et éducatif de la personne incarcérée par le recours au travail, aux moyens éducatifs et culturels et aux loisirs afin qu’elle se resocialise et réapprenne les normes et valeurs de la société. La réinsertion est un moyen de lutter contre la récidive. En outre, elle suppose aussi que le détenu puisse vivre en conformité avec les normes et les valeurs sociales, subvenir adéquatement à ses besoins et développer un sentiment d’appartenance à la communauté.

Pourriez-vous nous résumer les objectifs que le Ministère de la Justice du Niger a fixés pour votre Direction ?

Selon l’Arrêté 00015/MJ/GS/SG/DLR  du 25 janvier 2017 portant sur l’organisation des services centraux du Ministère de la Justice et déterminant les attributions de leurs responsables, la  Direction de la Réinsertion a pour missions de:

–      Élaborer et mettre en œuvre des programmes de réinsertion sociale ;

–      Conduire les politiques de formation et d’accès à l’emploi des détenus ;

–      Contribuer à la mise en œuvre des alternatives à l’incarcération ;

–      Développer un partenariat avec les différents intervenants dans les domaines de la rééducation et de la réinsertion ;

–      Suivre les activités des assistants sociaux et des psychologues.

Quelles ont été les principales réalisations et actions de votre Direction depuis que vous en êtes le responsable ?

La Direction de la réinsertion a élaboré un programme triennal (2015-2017) de réinsertion des détenus. Ce programme s’articule autour des axes suivants :

–      L’aide aux détenus pour mieux vivre leur situation dans les établissements pénitentiaires ;

–      Le développement des programmes  de formations professionnelles au profit des détenus ;

–      La lutte contre la stigmatisation et la discrimination des ex-détenus ;

–      L’accompagnement du détenu pour sa réinsertion socio-économique.

Cependant, ce programme  n’a pu être mis en œuvre, faute de ressources humaines, financières et matérielles.

La Direction de la Réinsertion a organisé des ateliers de formation des chefs d’établissements pénitentiaires sur les droits des détenus mineurs. Elle a également formé ces derniers à l’élaboration des plans d’affaires, au leadership et à la réinsertion. Elle a aussi organisé une mission d’information et de sensibilisation à l’application du travail d’intérêt général dans les juridictions pour mineurs. Elle a mis en place une plateforme des structures intervenant en milieu carcéral.

Estimez-vous qu’il y ait eu un réel progrès dans la réinsertion des personnes détenues depuis votre accession à votre poste actuel ?

La réinsertion des personnes détenues nécessite beaucoup de moyens. Pour le moment les ressources sont quasi inexistantes. Cependant, les réformes engagées permettent de dire qu’il y a du progrès mais pas autant qu’on l’aurait souhaité.

Quels sont pour vous les principaux enjeux de la réinsertion des personnes détenues au Niger en 2017 ?

Les principaux enjeux de la réinsertion des personnes détenues sont liés à un certain nombre de défis que nous devons relever. Par défis nous entendons notamment l’adoption de réformes législatives et réglementaires pour répondre aux besoins de réinsertion sociale des détenus, la mise au point d’une stratégie et de mécanismes de coopération entre les différents intervenants en milieu carcéral et la mise en place d’un dispositif de suivi des détenus. Il est également essentiel d’élaborer des projets spécifiques visant à accroître l’appui aux groupes vulnérables. L’affectation de ressources significatives ainsi que la participation du public et des  collectivités aux programmes et initiatives de réinsertion sociale sont d’autres défis non moins importants. 

Dans le cadre des réformes, une première étape a été franchie cette année avec l’adoption de loi 2017-008 du 31 mars 2017 énonçant les principes fondamentaux du régime pénitentiaire au Niger. Elle reconnait un rôle déterminant à l’administration pénitentiaire en matière de réinsertion des détenus. L’adoption de la loi 2017-009 du 31 mars 2017 portant statut du personnel du cadre de l’Administration Pénitentiaire permettra également au Ministère de la Justice de se doter de son propre personnel à l’instar de beaucoup de pays de la sous-région.[1]

Quelles sont, d’après votre Direction, les spécificités de la réinsertion en ce qui concerne les personnes mineures ?

Les mineurs risquent tout particulièrement de souffrir de l’incarcération et la première règle est donc d’éviter le recours à la prison chaque fois qu’il existe une solution de rechange. Je pense notamment aux mesures alternatives à l’incarcération. Les règles minima des Nations Unies concernant l’administration de la justice pour mineurs (Règles de Beijing) proposent diverses mesures non privatives de liberté pour les enfants en conflit avec la loi et recommandent notamment qu’ils soient orientés vers des programmes de réinsertion.  Les mesures et sanctions de substitution appliquées aux mineurs doivent tenir compte de la spécificité de leurs besoins en matière de rééducation et de formation professionnelle. Si un mineur est emprisonné, il doit bénéficier de toute l’aide possible en vue de sa réinsertion sociale.

Quelle est selon vous l’utilité de la présence des partenaires de la société civile et ONG, comme par exemple Grandir Dignement, dans l’amélioration de la réinsertion des personnes incarcérées ? Estimez-vous que la collaboration soit satisfaisante ?

La société civile a un grand rôle à jouer dans la réinsertion des détenus, pendant et suite à leur libération.  Les organisations de la société civile sont un relais des pouvoirs publics indispensable à la réinsertion des détenus. Elles peuvent contribuer de façon efficace à l’accompagnement des détenus dans le domaine de l’éducation et de la formation professionnelle, pour l’obtention de micro crédits, pour le rétablissement des liens familiaux, pour la recherche d’emploi, etc.

Quel est votre avis global sur le regard que la société nigérienne, le grand public, porte sur les personnes anciennement détenues ?

Il faut reconnaitre que la société nigérienne a une connaissance très limitée des établissements pénitentiaires. La vie en prison est méconnue du grand public. La société développe beaucoup de préjugés sur les détenus. Ces préjugés persistent même après leur libération. Certains ex-détenus sont parfois victimes de stigmatisation et de discrimination. Celles-ci se caractérisent par leur exclusion, leur condamnation parfois injustifiée par la société, la perte de certains rôles comme la participation à la prise de certaines décisions dans la famille et dans la société avec pour conséquence l’abandon de la famille ou du milieu de vie initial, la perte de l’emploi, la dépression ou la récidive. Il s’agit de mener des actions tendant à diminuer les préjugés à leur égard et qui leur permettent de se reclasser dans la communauté.

 

Monsieur le Directeur, nous vous remercions.
[1] Au Niger, jusqu’à aujourd’hui, c’est la garde nationale, donc des militaires qui se chargent de la sécurité pénitentiaire. Or, un corps pénitentiaire propre va être créé comme c’est déjà le cas dans d’autres pays d’Afrique de l’ouest.